Après Vivre, qui avait rencontré un succès local et international assez peu courant pour un court métrage martiniquais, Maharaki revient avec son deuxième film, Jocelyne Mi Tché Mwen. La réalisatrice s’attaque à une figure emblématique : Jocelyne Béroard. Comment capturer l’essence d’un personnage si proche de son public et si unanimement reconnu ?
Le premier écueil aurait été de tomber dans l’hagiographie. Maharaki opte rapidement pour une approche plus intime, en faisant de ce film une histoire de famille. On découvre progressivement comment cette carrière exceptionnelle s’est construite grâce à, contre, et pour sa famille. Voire même ses familles: qu’elle soit biologique, qu’elle soit à travers Kassav’, avec ses fans, ou en la Caraïbe
Chaque étape de la carrière artistique de Jocelyne est abordée avec rigueur, permettant au film de révéler progressivement ses secrets. Chaque élément de l’histoire nous interroge sur le lien entre la chanteuse et sa famille, tout en s'intégrant parfaitement dans la construction narrative. Il faut saluer l’humilité de la réalisatrice face à son sujet. Si le format du film et l’ambition de tout couvrir (de la place du créole au succès de certains titres) donnent parfois l’impression d’un fil directeur un peu désordonné, cette frustration est compensée par la sincérité du propos.
Le film emprunte des chemins rarement explorés dans le cinéma caribéen, notamment en mettant en lumière une classe sociale peu représentée à l’écran. La Martinique est souvent dépeinte à travers sa ruralité, son prolétariat ou, à l’opposé, sa classe béké dominante. Ici, Maharaki choisit de montrer la bourgeoisie créole, avec sa langue, ses corps, et les enjeux de préservation de son modèle, illustrés notamment par les interviews des frères et sœurs Béroard. Dans un pays où la stratification socio-raciale est si marquée, chaque incursion cinématographique dans ces dimensions révèle un nouvel espace narratif. Le cinéma joue ici pleinement son rôle de révélateur des complexités sociales.
Un autre enjeu du film réside dans son rythme. Le documentaire tente constamment de capter celui de Jocelyne, de suivre l’énergie si caractéristique qui l’anime. Un personnage aussi dynamique est difficile à figer dans des dialogues ; elle incarne l’action. Grâce au montage, le film progresse à une cadence soutenue. Les nombreuses chansons de l’artiste sont présentées sous forme d’extraits variés, affirmant ainsi que son énergie transcende le temps.
Pour capturer toute cette énergie, on aurait pu rêver de scènes où les corps et la sueur traduirait davantage la force des performances, notamment sur scène. Des séquences de concert plus longues auraient sans doute révélé la fatigue et la fragilité sous-jacentes à cette vitalité apparente.
La photographie, d’une trop grande lisibilité, manque parfois de contraste et d’ambiance. Une scène pourtant où l’icône est filmée de dos face à une salle nous laisse imaginer la puissance visuelle que le film aurait pu nous offrir. baignée d’une lumière rouge majestueuse. L'une des passions de Jocelyne est la photographie. Un parti pris plus affirmé nous offrirait une mise en abyme révélant le regard du personnage principal. Mais cela aurait sans doute été un tout autre fil
Sans tomber dans le pathos, le film nous mène subtilement vers un climax émotionnel. En à peine plus d’une heure, nous recréons, presque à notre insu, ce lien d’amour si particulier que Jocelyne Béroard tisse avec son public.
Jocelyne mi tchè mwen est une déclaration de l’artiste et l’un de ces refrains les plus célèbres mais il peut être vu comme un don au cinéma de son histoire. Un don que la réalisatrice fait sien en nous déclarant que son cinéma cherchera à incarner son amour pour son pays.
Article écrit en 2018 :Deux ans plus tard , Maharaki auto-produira un très court métrage Projet H. Elle anime de nombreux ateliers et continue à travailler sur un projet de long-métrage