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Photo du rédacteurSteve Zébina

FREDA

Dernière mise à jour : 13 juil.

On parle souvent de nos histoires à l’universel mais c’est de force de constater que ce sont nos identités , de notre âme qui nous amènent vers le véritable Commun.

Découvrir Fréda est une expérience . Voir ce film C’est entrer en contact avec un territoire de cinéma si peu représenté . C’est avant tout être confronté avec une réalisatrice qui frappe à nos portes avec ses convictions . Double rencontre mais avant tout la rencontre avec un film qui se révèle avec le temps.




Fréda est une œuvre constamment en contact avec le monde. 

Ce film est une expérience continue qui donne l’impression de chercher un langage pour décrire ce monde. L’entreprise a l’humble ambition de vouloir nous aider à ressentir avec une même acuité le monde vécu et celui des âmes.



Pour arpenter ce chemin, point besoin d’emprunter les voies évidentes du réalisme merveilleux, ou d'un exotisme Le cinéma a déjà tracé des routes : le documentaire pour saisir la complexité du quotidien, la construction des plans pour dessiner la géométrie des rapports humains, la symbolique du cadre, la légèreté de la caméra portée, la beauté de l’écriture scénaristique.




Gessica Généus parcourt ces traces avec ingéniosité, innocence, sincérité, mais aussi avec détermination. On a l’impression que le langage cinématographique est malaxé, est convoqué pour répondre à l’urgence de raconter. Ici le Réel entre sans frapper, par ses immersions dans les manifestations : comme des mantras ou des refrains scandés. Le spectateur est alors interpelé.

Le cinéma est colonisé par sa brûlante actualité. Les échanges des jeunes à l’université (qui font de l’anthropologie : une science qui s’intéresse à toutes les facettes de la société mais aussi de l’humain) nous invitent au cœur du débat. Un débat réel avec des propos contradictoires, parfois simplistes, parfois profonds, pleins d’humour, de gravité : de la vie à l’état pur ! 






Les attitudes corporelles participent à cette irruption de la vie à l’écran. La virtuosité de la caméra dans les scènes de boîtes de nuit nous emmène vivre la danse et au détour d’un regard de Fréda nous sommes convoqués, interpelés… Nous sommes face à un cinéma qui demande à son spectateur d’ouvrir les yeux sur un monde, d’ouvrir son cœur. Si universel soit ce message, son ancrage est bien en Haïti : Ce qu’il s’y passe est important. Le film comme objet vivant en est viscéralement imprégné.  










Au-delà de cet instantané d’un pays, le film nous transporte dans une famille, dans une sororité transgénérationnelle.  Les hommes y sont sur le départ, de retour, mais aucunement ancrés dans l’espace. Les personnages féminins ne sont presque jamais seuls dans le plan. Quand Fréda est aux genoux de sa mère, elle est présente sans interférer dans l’action : elle est dans le groupe. Les cadres serrés sur les visages laissent apparaître d’autres personnages. La communauté : c’est l’unité. C’est le lieu de circulation des identités : Esther, Jeanette, Fréda sont des facettes de ce même diamant, de ces mêmes douleurs. Dans l’intimité de ces plans se love l’une des questions centrales du film : comment vivre au sein de cette communauté ? Comment la préserver coûte que coûte même si elle doit se courber sous la violence des douleurs du passé, ou de celles du quotidien. 









Dans ce tourbillon, Fréda épouse, ressent, et surtout se positionne fièrement et avec amour : par les mots ou en silence. Il y a cet émouvant dialogue avec l’amoureux délaissé, à qui elle ne parle quasiment pas, elle est interrompue et pourtant elle laisse transparaître tout le drame qui se vit. Encore une scène où la virtualité de la mise en scène nous fait balancer constamment entre l’émotion et l’humour des interventions de la mère.

Cette sororité en mouvement et en constante mutation vit en lieu clos. Le plan final commence par une porte que l’on ouvre. Une porte que le film a peu à peu poussé. Dans ce lakou caribéen se jouent la vie, les tourments, les espoirs.  






La force de la direction d’acteur est alors de faire apparaître ces mécanismes tout en subtilité. Les comédien·ne·s sont tous époustouflant·e·s et la mise en scène crée les espaces pour l’exprimer. Ils flirtent toujours à la frontière entre leur réalité et le cinéma. Une réalité à qui la langue créole donne son rythme, sa vitesse.

Le récit quant à lui semble répondre à une constante montée en puissance émotionnelle et narrative. La vie se déroule sous nos yeux avant de s’emballer implacablement. 


Ce chemin nous mène vers les entrailles des âmes. Dans son documentaire « Douvan jou ka lévé », Gessica Généus avait déjà montré avec sincérité comment la société, les croyances, la politique s’incarnent dans les souffrances de l’âme... Dans Fréda, c’est la fiction qui continue cette réflexion.

La fin du film est à cet égard superbe car elle ouvre la porte sur ce cataclysme psychologique. Plus besoin de montrer la rue, c’est au plus profond de nos êtres que se joue la guerre de tranchée. 


Autour de cette matrice, le film explore de nombreuses pistes mais toujours avec retenue et en prenant soin de ne jamais sombrer dans la didactique et le pédagogique. 

A l’instar de Abbias Kiarostami, le film existe et c’est aussi cela le mystère de chaque plan : Comment réaliser dans ce pays en ébullition ? Comment peut-on faire jaillir l’authenticité des personnages ? Comment ce film imprime-t-il aussi durablement les spectateurs ?  

On peut se risquer à affirmer que la preuve de la vie c’est l’existence même du film. Au milieu du cataclysme, l’apparition de la beauté, du cinéma est un signe d’espoir et prend une dimension quasi magique.



Enfin comment conclure sans évoquer la force de l’amour qui circule tout au long du film.  Telle Erzulie : Fréda est l’Amour. Thème, gimmick, attitude, posture : sa représentation est polymorphe. Telle une gardienne, elle ne manque jamais de l’affirmer pour sa communauté, pour son pays. 







C’est cet amour qui permet de dire, de faire tenir le groupe, d’embrasser littéralement la douleur de nos âmes, du pays. Le dernier plan où ce personnage en cesse d’être au centre du film pour laisser la place à sa mère. Freda n’arrêtera pas de prendre soin de son pays, de sa population, des spectateurs.

Cela ressemble presqu’à une feuille de route pour cette réalisatrice qui nous réserve sans nul doute d’autres beaux moments de cinéma. Nous sommes persuadés que la force de notre spiritualité, notre intime profond, nos cataclysmes traceront la route du futur du cinéma…

 















Steve Zébina

Programmateur - Critique

Passionné de cinéma caribéen et coréen, programmateur du festival Cinémartinique depuis 2008, Reponsable du cinéma à Tropiques Atrium Scène nationale

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