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Photo du rédacteurSteve Zébina

CHEESE

Dernière mise à jour : 11 juil.

 

Un pêcheur fauché se lance à corps perdu dans un trafic de marijuana en la dissimulant dans du fromage italien.  Il verra sa vie bouleversée et devra affronter de dangereux trafiquants. 




Ce postulat de départ renferme déjà tout le programme que va nous dérouler Damian Marciano. Nous ne serons pas sur le terrain du film social, nous filtrerons avec le cinéma de genre et nous serons profondément ancré dans la culture caribéenne.  


Le réalisateur nous transportera dans une histoire au ton burlesque quasi inédit dans nos régions. Il ne s’agit pas d’une comédie loufoque ou le rire est présent à chaque instant mais d'une forme de parti pris qui irradiera tout le film et qui lui donnera un ton unique.  


Souvent le burlesque nait avec un personnage, un corps qui sera mis à toute épreuve.

Skimma, notre héros (ou plutôt notre anti-héros) en est l’exacte définition. Il est longiligne avec des vêtements trop grands pour son frêle corps. Son visage ahuri au sourire est un mélange de Droopy de Tex Avery , de Buster Keaton, Harold Lloyd


Il traverse le film avec une forme de langueur. Pourtant il ne cesse de réagir, de prendre des décisions. Il en est le moteur. Il est loin d’être sympathique. Il est irresponsable et attachant ( la scène de l’annonce de la grossesse de sa compagne est à ce titre d’une grande intelligence). Au-delà de cette histoire ou la mozzarella, joue un rôle central, Skimma ne déparerait pas dans la comédie italienne et on l'imagine sans peine avec les acolytes du Pigeon de Monicelli.


Il sera confronté à des méchants patibulaires digne d’une BD. La mise en scène assume ce parti pris et fait s’enchainer les situations avec une vitesse assez folle. On a presque l’impression de saynètes .


Si ce ton loufoque est surprenant et peu courant dans le cinéma caribéen et à l'opposé du classicisme et vaut à lui seul le déplacement , le spectateur de Cheese sera aussi surpris par la forme de cet œuvre qui réussit le grand écart entre des approches du Réel qui semblerait presqu’antinomiques . 


La première est un regard quasi documentaire . Ce village de pécheurs dans le sud de Trinidad ( “Behind God’s Back” comme on l'appelle dans le film - une expression si caribéenne) est décrit avec une attention toute particulière. Les acteurs non professionnels sont d’une grande justesse. Même la fabrication de ce fromage est décrite avec minutie ! 


L’autre grande trouvaille est la langue . En ces temps de d’uniformisation, les comédiens s’expriment dans un patois trinidadien que le réalisateur assume complètement. Le film est même sous-titré en anglais ! C’est assez rare surtout dans la caraïbe anglophone ou l’on fait souvent l’aller-retour avec un anglais académique et un accent local. Ici la langue est un enjeu et une affirmation de cette authenticité. C’est particulièrement touchant de voir un jeune réalisateur clamer aussi fort son désir de faire entendre sa langue, les mots de son pays.

 

Cheese n’est pourtant un film folklorisant. Il s’intègre dans une pratique clé de l’audiovisuel sous nos latitudes : le clip. C' est un moteur économique, un espace d’apprentissage, un mode de représentation . Damian Marciano avait dans son précédent film beaucoup plus urbain GOD LOVES THE FIGHTER empruntait à cette esthétique. La ville, les gangs sont si présents dans les clips que cela peut sembler plus évident. Ici nous sommes dans la campagne et à part quelques narco trafiquants , le fromage italien est peu présent dans nos productions musicales !  Et pourtant toujours aussi intelligent ,comme son personnage principal, le réalisateur nous propose néanmoins des ponts avec cette forme d’expression : le montage de certaines scènes mais aussi la colorimétrie, la lumière donnent à ce film une esthétique qui nous rappelle furieusement celle du clip.


Et bien évidemment la musique est omniprésente. On a pratiquement l’impression qu’elle dicte le rythme des scènes . La musique instrumentale inspirée du Dub jamaïcain, du Dancehall, de la Soca est composée par ce groupe trinidadien Freetown Collective.  Comme pour la langue, cette utilisation de la musique semble vouloir nous dire quelque chose d’important. Une telle présence n’est pas anodine. Dans nos sociétés ou la musique est si importante , nous pouvons redéfinir sa place dans nos films . CHEESE l'expérimente avec une grande modestie, ces allers- retours sont très intéressants et peut laisser la place à des champs d’expérimentations multiples et des questions esthétiques et politiques.


Un peu comme les consommateurs de ce fromage qui découvre une marijuana puissante et parfumée : le spectateur de Cheese en suivant les pas de ce pécheur espiègle ira à la rencontre d’un cinéma caribéen libre original et en constant renouvellement.




Steve Zébina

Programmateur - Critique

Passionné de cinéma caribéen et coréen, programmateur du festival Cinémartinique depuis 2008, Reponsable du cinéma à Tropiques Atrium Scène nationale

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